L’Ogre de Strasbourg

Prologue

Dimanche 26 novembre 1995 – Leïla largue Nicolas

  • Bon Nicolas, je ne vais pas tourner autour du pot, entre nous c’est fini. On a essayé. C’était bien au début mais là c’est devenu nul. On se connait depuis quand ? deux ans
  • Non plus!
  • Oui mais non, avant on était dans le même lycée. On se connaissait de vue, on s’est parlé deux ou trois fois mais on ne peut pas dire qu’on se connaissait. On a réellement fait connaissance en Sup. On sort ensemble depuis presque deux ans mais là c’est fini.
  • J’comprends, t’es perturbée, c’est à cause d’hier et la mort de Léon Zitrone.
  • Ok, tu m’as fait sourire. T’es content de toi et tu penses que c’est gagné et bien non. Oui je te trouve drôle, je te trouve même charmant mais non tu n’arrivera pas à m’embobiner. C’est fini, F.I.N.I, fini!
  • Mais pourquoi? Tu t’es vu! Tu trouveras pas mieux qu’moi.
  • Tu penses réellement m’avoir en me balançant une phrase comme ça? Qui ne fait rire que toi!
  • J’essaie c’que je peux. Je pense juste qu’on est fait pour être ensemble.
  • Raté! Tu penses faux. Tu vois, j’arrive aussi à te faire sourire en te sortant les mêmes jeux de mots idiots que toi. Je t’aime beaucoup Nicolas, tu es bien foutu, tu es intelligent et j’adore discuté avec toi mais j’en ai marre. Je suis encore jeune. Je ne vais pas me marier avec toi! On était ensemble car on vient de la même ville, du même quartier, du même milieu mais moi j’ai envie de rencontrer d’autres « Nicolas », de voyager, de faire des trucs. Tu comprends?
  • Pas vraiment mais c’est ton choix. Je pense qu’il est mauvais. Tu serais heureuse avec moi.
  • Peut-être, on ne le saura jamais.
  • Ok. C’est dommage.
  • Si tu ne vas pas bien, tu peux venir me parler. On ne se touche plus mais je serai là pour toi encore longtemps.
  • Longtemps? Même dans deux semaines?
  • Je t’assure tes blagues sont nulles et arrête de sourire bêtement en les disant.
  • Je vais essayer.
  • Bien! Je t’aurais été au moins utile pour ça.
  • Je vais essayer de sourire bêtement en me taisant.

Jeudi 1er février 2018 – Leïla est terrifiée

Depuis combien d’année Leïla était abonnée aux Dernières Nouvelles d’Alsace? Elle ne s’en souvenait plus. Quand elle avait quitté l’Alsace? Non car à cette époque elle l’achetait juste de temps à autre et en version papier. Peut-être au moment où elle avait acheté sa première tablette?

  • Siri quand est sorti le premier iPad? 

La recherche sur www.qwant.com fut plus fructueuse. Le premier iPad était sorti le 3 avril 2010 selon un lien vers Wikipedia. Son abonnement devait remonter à 2011 au plus tôt, 2012 au plus tard. Elle resta sur le site pour aller voir comment il définissait un ogre.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Ogre

C’était elle qui avait appelé le monstre « Ogre ». Sans Nicolas, l’ogre l’aurait tuée mais ce n’est pas lui qui l’avait tué, c’était elle. Elle s’en souvenait parfaitement. Pourquoi l’avoir appelé « Ogre »? Elle ne s’en rappelait plus. Elle s’était mise à collectionner pas mal d’illustrations représentant un ogre. Celle du site était un dessin de Gustave Doré extrait du conte « Le Petit Poucet » de Charles Perrault. Leïla avait toujours aimé cette histoire. Elle était cruelle mais, après tout, Leïla n’était pas une tendre non plus. Elle possédait un exemplaire original du livre « Les contes de Perrault » des éditions Hetzel. Elle l’avait acheté sur Ebay pour 200€. La même illustration que celle choisie par le site s’y trouvait. Elle relue l’article des DNA.

  • Mais le lit est mouillé!

La phrase avait été prononcé par le type avec qui elle s’était endormie, plus exactement avec qui elle avait baisé puis, lui s’était endormi, alors qu’elle allumait sa tablette. C’était l’un de ses jeunes collègues. Il avait une dizaine d’années de moins qu’elle. Elle n’avait pas joui. Encore une fois.

  • Tu te lèves et tu dégages de la chambre d’hôtel.

Le jeune homme restait interloqué.

  • C’est quelle partie de la phrase que tu n’as pas comprise?

Cette fois, il avait saisi. Il se leva et il quitta la chambre en moins de cinq minutes.

Leïla avait pissé au lit. La trouille. L’ogre était de retour. C’était impossible. Elle l’avait tué. Elle avait fracassé sa nuque. Il n’avait plus de pouls. Ils l’avaient vérifié? Elle n’était plus certaine. C’était peut-être un autre ogre.

Elle devait recontacter Nicolas. Ils ne s’étaient plus vue depuis des années. Et s’il ne voulait plus la revoir? A cette pensée, elle jeta la tablette contre le mur. Elle se leva pour se doucher. Sa nuit était foutue de toute façon.

La tablette était au sol, la vitre légèrement fendu, l’article des DNA était toujours visible.

Leïla a des soupçons

Jeudi 1er février 2018 – Leïla est terrifiée

  • Nicolas, j’espère que tu ne m’invites pas au Gurtlerhoft pour me reconquérir?
  • Non, pas du tout.
  • C’est vrai que tu n’as pas l’air bien. Tu as même l’air sincère.
  • Profites bien de ta Flammekueche, ce que j’ai à te dire est très étrange. Leïla, j’ai vue quelque chose d’impossible.
  • Tu crois l’avoir vue! Sers moi du Riesling. Tu avais pris quoi ? Ou trop bu?
  • C’était le matin. Très tôt. Vers 05H00.
  • Tu as dû rêver.
  • Non. Je dors très mal depuis que tu m’as quitté. Je me promenais près du pont du corbeau. Ce que je vais te dire est vraiment bizarre. 
  • Bon Nicolas, accouche!
  • J’ai vu un monstre manger une jambe.
  • N’importe quoi! Et après il t’a couru derrière et tu t’es réveillé, je suppose?
  • Non pas du tout. Il était de l’autre côté de la rivière.
  • Non mais Nicolas, tu délires. Arrête de jouer à JRTM, Rolemaster ou je ne sais quel autre jeu de rôle.
  • Je suis très sérieux Leïla. Il devait mesurer entre deux ou trois mètres. Il portait une sorte de vieux kimono gris. Je l’ai fixé cinq bonnes minutes. Il a ensuite tourné sa tête vers moi. Ses dents, rouges de sang, semblaient démesurées. Il m’a regardé. J’ai pris peur. Je me suis sauvé. J’ai couru jusque chez moi.

Mardi 20 février 2018 – Leïla parle à la femme de Nicolas

Leïla était arrivée à l’appartement de Nicolas. Elle s’était contentée d’un simple texto envoyé le matin même de sa venue. Il avait conservé le même numéro de téléphone depuis presque vingt ans. Elle se souvenait du jour où il avait acheté son premier portable, un Mitsubishi MT 430.

Leïla était déçue. Elle s’était imaginée Nicolas avec une femme qui lui ressemblait, une petite brune avec de petits seins au teint mat. C’était tout l’inverse. Fanny était grande, rousse et son décolleté laissait apparaitre un bon 95 C.

Ils habitaient Strasbourg, au nord du quartier du Neudorf. Leur immeuble était situé le long du canal du Rhône au Rhin. Il s’agissait d’une construction récente bâtie à côté du cinéma multiplex du centre ville. Son appartement devait couter une fortune. C’était un magnifique duplex de cent vingt mètre carrés. A travers d’énormes baies vitrées on apercevait la médiathèque André Malraux qui trônait au milieu de la presqu’île éponyme. La ville s’était métamorphosée durant les vingts dernières années. Des immeubles modernes avaient poussé jusqu’à l’autre rive du Rhin.

  • Nicolas ne va pas tarder. Il travaille à Illkirch. 

Se femme était charmante. Nicolas l’avait prévenu de son arrivée. Elle l’avait accueilli dans leur salon et l’y avait laissé seule alors qu’elle couchait leurs trois enfants de sept, dix et treize ans.

  • Voilà les enfants sont couchés. Ils sont censés lire une heure au lit avant de s’endormir. Nicolas et moi, nous voulons que les ainés déposent leurs téléphones portables dans le salon. Ils n’ont pas le droit de les prendre dans leur chambre sinon ils risquent de passer leur soirée à échanger des textos avec leurs amis ou à jouer à des jeux débiles.
  • Vous avez bien raison.
  • Vous savez, Nicolas m’a souvent parlé de vous. Vous étiez au lycée et en prépa ensemble?
  • Oui enfin surtout en prépa. On était très copain.
  • Vous savez qu’il conserve une boite métallique où il est gravé « L ». Elle est dans son carton de souvenirs d’enfance.
  • Vous l’avez déjà ouverte?
  • Il ne le sais pas mais je l’avoue, oui, j’ai fouillé dedans. Ces photos de lui jeune me font toujours rire. Vous voulez qu’on regarde ensemble?
  • Je ne sais pas, c’est gênant.
  • Vous êtes sur la plupart des clichés et j’aimerai que vous me parliez de l’historique de certains objets.
  • Bon ok, regardons ça ensemble.

Fanny rapporta un ancien carton qui à l’origine contenait une imprimante HP. A l’intérieur se trouvaient essentiellement de vieux journaux et une boite métallique.

– Il conserve les journaux liés à des événements « historiques » comme les éditions du 12 septembre 2001, du 22 avril 2002, du 8 janvier 2015 et du 14 novembre 2015 mais il garde aussi celles de la mort de Jean-Paul II, de l’élection de Benoit XVI et de celle du pape François.

  • Et ces autres journaux?
  • Il doit y avoir des articles sur nos enfants. Le plus grand fait des compétitions de judo et les deux autres de l’aïkido.
  • Ils ne sont pas un peu petits.
  • Si mais Nicolas veut absolument qu’ils apprennent à se défendre. Il n’arrête pas de me dire qu’on les élève dans du coton. Je crois que ça lui fait peur de les voir grandir à l’abris de tout alors que lui-même était en HLM au même âge.
  • Je comprends.

Mais Leïla ne répondait pas à Fanny mais à elle-même. Nicolas conservait des journaux des deux dernières années, non pas en rapport avec les sports pratiquaient par ses enfants, mais en raison des faits divers relatés. Le lien avec l’ogre paraissait évident. Les articles parlaient de disparitions de jeunes adultes, comme les journalistes l’écrivaient de nos jours. Il avait mené son enquête.

  • Et la boite mystérieuse, elle est un peu rouillé, c’est un peu dure mais voilà…alors Leïla éclaire moi. C’est quoi ce truc?

La morning star de Leïla, enfin ce qu’il en restait. Leïla avait immédiatement pali en la revoyant.

  • Nicolas et moi faisions du jeu de rôle et on s’était toujours dit qu’on irait faire un « grandeur nature » alors on s’était équipé mais on a jamais eu l’occasion d’en faire un.
  • Ce manche métallique cassé avec une grosse boule pointue?
  • C’est une arme fictive, une « étoile du matin ». On l’appelait la « morning star » car dans Rolemaster le nom de l’arme n’avait pas été traduite dans l’édition qui nous avions. Tu as de la chance il aurait pu conserver l’horrible cotte de mailles qu’il s’était fabriqué avec du grillage vert.
  • Vert!
  • Oui, il trouvait que le vert lui donnait un coté « armure magique ».

Le téléphone de Fanny vibra. C’était un texto de Nicolas.

« Tram KC. 1 heure de retard »

  • Je suis désolé Leïla mais le Tram est en panne, il doit revenir à pied d’Illkirch. Il en a pour une bonne heure.
  • Ce n’est pas grave. Je vais vous laisser. J’aurai dû prévenir plus tôt de mon arrivée.
  • On peut t’inviter à manger samedi midi ou au resto vendredi soir si tu le souhaites?
  • Ok, ça me va. Je dois tout de même vérifier avec mon boulot. Je vous dirai.

Par réflexe, Leïla tendit sa carte de visite professionnelle à la femme de Nicolas, l’embrassa et repartit de l’appartement.

Mercredi 7 décembre 1995 – Leïla a un doute

Leïla terminait une heure de khôlle de Math. Elle sortait du lycée Kléber. Il était déjà dix neuf heures et pourtant elle avait envie de se promener. Elle venait de réussir deux exercices sur les matrices mais elle était inquiète. Elle devait maintenant réviser pour le contrôle de Français du lendemain qui portait sur « Triste tropique » de Claude Lévi-Strauss. Elle marchait en tenant le livre à la main. Elle avait adoré le livre mais elle sentait qu’elle allait se planter. C’était souvent comme ça avec elle, quand elle aimait trop, elle merdait tôt ou tard. La dernière fois elle s’était égarée dans des détails de l’oeuvre sans aucun intérêt, elle s’était perdue dans un « hors sujet » qui lui valu un pitoyable 4/20. Avec Nicolas, c’était un peu pareil. Elle l’aimait toujours mais elle se sentait trop jeune pour s’engager définitivement et elle sentait bien, qu’avec lui, c’était droit vers le mariage qu’elle se dirigeait. Elle avait envi de profiter de ses vingt ans. Elle allait devenir ingénieur, avoir un niveau de vie sans commune mesure avec celui de ses parents. Elle était certaine de pouvoir fuir l’obscurantisme dans lequel sa famille vit. Elle avait envi de voyager, de partir sur les cinq continents, si possible en étant payer pour le faire, de s’envoyer en l’air avec un « Popeye » moniteur de ski durant ses vacances d’hivers, de se taper un surfer body builder écervelé dans le Sud Ouest, de partir se faire prendre deux semaines sur un petit voilier avec un beau breton écolo-puant portant un vieux pull troué, de coucher avec un intello-gauchiste parisien au crâne mou fils de bonne famille à la recherche d’une beurette pendant une saison pour faire plaisir à ses parents socialiste payant l’impôt sur le fortune, de se faire déglinguer dans un palace par un jeune cadre dynamique qui l’y conduirait en 911 après avoir mangé dans un étoilé du Michelin et pourquoi devait-elle renoncer à tout cela? Car elle aimait Nicolas! Elle le trouvait drôle, plutôt pas mal physiquement et elle aimait faire l’amour avec lui mais elle ne l’avait pas rencontré au bon moment. Ils étaient trop jeune. Il n’était pas question pour elle de s’engager à moins de vingt ans mais elle avait un doute, surement un doute scientifique, était-ce logique d’échanger un bonheur certain contre une future hypothétique décennie fantasmée et excitante ? Non ce n’était pas logique mais c’était son seul choix possible car un avenir avec Nicolas serait entaché d’un regret éternel qui produirait, chez elle, des adultères qui la feraient d’autant plus culpabiliser que son mari serait, à coût sûre, irréprochable et aimant.

Un cri! Un cri court et strident venait de retentir. Il faisait nuit noir. En étant perdu dans ses pensées, Leïla avait marché jusqu’aux quais. Au bord de la rive, une ombre énorme agrippait une jeune femme. Elle devait avoir la trentaine. Leïla passa le reste de sa vie à se demander pourquoi elle avait accouru à son secours. Elle était frêle et désarmée, c’était illogique et stupide.

  • Et le gros tas, laisse cette femme tranquille! s’écria Leïla.

En associant le geste à la parole, elle avait accouru vers le monstre en lui lançant « Triste tropique » à la gueule. Nicolas avait raison. C’était bien un Ogre de trois mètres et à la peau jaune terne! La seule pensée qui vint à Leïla fut la fiche des règles avancées de Donjons et Dragons sur les Ogres. Elle se souvint qu’ils étaient particulièrement stupides. On pouvait les rencontrer dans tous les environnements ce qui était pratique pour les maitres du jeu qui pouvaient les utiliser pour tout type de scénario. Ils étaient aussi écrit qu’ils étaient voraces et avaient mauvais caractères. Ils pouvaient être accompagné de Clercs mauvais ou être réduit en esclavage par des démons. Elle se rappela également qu’il y était inscrit que les créatures capturées par un Ogre n’avaient que dix pour-cent de chance d’être retrouvées vivantes dans son gite. Elle s’en souvint juste avant de recevoir un coup terrifiant sur son flan gauche. L’Ogre venait d’utiliser sa proie comme masse. La tête de la jeune femme venait de briser la bras gauche de Leïla qui, sous le choc, perdit connaissance.

Un doute naquit à ce moment précis dans l’esprit de Leïla. Ce doute dura vingt trois ans. Leïla doutait qu’elle ait survécue à cette nuit. Elle se demandait si ce quelle vivait n’était pas une hallucination qui précède le paradis, l’enfer ou le néant. Mort quasi-instantanée mais illusion qui dure un temps bien plus long en raison du passage d’un corps physique vers un esprit pure de masse proche de zéro et, comme Leïla le savait déjà à cette époque, le phénomène relativiste qui en découle entraine un ralentissement infini ou presque du temps. 

Leïla n’est pas morte depuis vingt trois ans

Mardi 13 mars 2018 – Leïla est sur un pont

Leïla est sur l’un des nouveaux ponts de Strasbourg ou plutôt une passerelle qui sépare la presqu’île Malraux du Quai des Alpes.

  • C’est ici que je fais mon jogging.

La voie de Nicolas venait de retentir derrière Leïla qui se retourna.

  • Et mais t’es encore mignonne ! Ma femme m’a affirmé que t’étais devenu un gros thon.
  • Toujours aussi drôle mais je doute qu’elle t’ai dit ça. Elle a l’air sympa, ça fait une moyenne avec toi.

Nicolas et Leïla s’enlacèrent.

  • Je suis heureux de te revoir. Tu es magnifique, dit-il.
  • Je suis heureuse également mais toi, tu as pris du ventre.
  • Si peu! C’est l’embourgeoisement.
  • Dans ton cas Nicolas, moi aussi j’ai du pognon mais pas un gramme de graisse.
  • Tu m’as manqué toutes ces années. Tu me manques encore Leïla.
  • Mais maintenant je suis là.
  • Physiquement je veux dire. Tu me manques physiquement.
  • Tu fais quoi là? Tu me demandes déjà de coucher avec moi?
  • Oui. J’en ai envie. Être dans tes bras me donne la magie dont j’ai besoin. Je sais pourquoi tu es là. Cela fait un moment que j’ai noté des trucs étranges dans la presse locale. Des évènements m’ont fait penser que l’Ogre était revenu. L’Ogre est toujours en vie. Tu es là car tu a dû lire un truc dans la presse nationale peut-être. Tu es là car tu penses qu’il a survécu. Tu es là pour qu’on finisse le travail.
  • Tu fais des allitérations car tu es devenu aussi gros qu’Hollande, coupa-t-elle en souriant.
  • Ce n’est pas drôle. Cela fait deux ans que j’enquête. Je sais même où et quand on peut, presque à coup sûre, tomber sur lui. Je sais qui il est mais je n’ai pas le courage de l’affronter. J’ai besoin de toi. Pour la magie tu comprends.
  • Où?
  • Comment ça?
  • Tu veux qu’on couche ensemble, mais où?
  • Il y a un nouvel hôtel au bout de la rue, en face de l’arrêt de tram Winston Churchill.
  • Ok, on y va. C’est con je trouve ta femme sympa, je vais culpabiliser et je vais avoir du mal à jouir.

Leïla ne culpabilisa pas. Elle eut trois orgasmes en moins d’une heure. Nicolas se dit que faire du jogging c’est bien mais qu’en faire plus de vingt minutes ce serait mieux. Tout ça car vingt minutes était la durée de l’épreuve d’athlétisme du bac quand il le passa.

Mercredi 7 décembre 1995 – Leïla tue le monstre

Leïla se redressa. Elle était dans une pièce humide et sombre. Elle était à moitié nue. Le cadavre de la jeune femme gisait à ses pieds. Il lui manquait une jambe. Leïla vit que la tête de la morte était à moitié arrachée. Leïla faillit perdre connaissance mais sa volonté de vivre fit qu’elle se redressa immédiatement en serrant son point droit avec la ferme intention de se défendre.

Le monstre entra dans la salle quand elle entendit crier son prénom. L’ogre se retourna et couru. Leïla le poursuivit. C’était idiot mais elle avait reconnu la voix de Nicolas. Il n’était pas question qu’elle laisse ce monstre le tuer.

Il ne s’agissait pas d’un très long sous-terrain. Leïla en sorti très vite. Il faisait nuit. Elle se trouvait dans le parc de la Citadelle. Elle voyait encore le monstre mais elle ne comprenait pas où il courait. Elle se devait d’aider Nicolas. Son bras gauche cassé la faisait énormément souffrir. Très vite elle se retrouvait à nouveau sur l’un des quais du canal. Elle entendit soudainement crier « Banzaï ».

Nicolas, portant son déguisement de druide – chasseur, sauta d’un muret droit sur l’Ogre avec son étoile du matin. Le coup manqua sa cible mais frappa le monstre à l’épaule. Nicolas rebondit sur son adversaire chuta de toute sa hauteur. Son arme tomba aux pieds de Leïla. Elle le ramassa, tournaillât telle qu’elle l’avait appris en athlétisme et elle réussit à frapper l’ogre en pleine tête. Le manche de l’étoile du matin se brisa en deux. L’ogre, sa tête ensanglantée, tomba au bord du bassin de la citadelle. Nicolas était sonné mais il se relevait tant bien que mal. Il s’approcha du corps infâme pour lui prendre son pouls.

  • Il est mort Leïla.

Elle s’approcha, l’ogre ne respirait plus. Ils se regardèrent. Ils poussèrent le corps dans l’Ill. Leïla regarda son corps inconscient flotter quelques instants puis s’enfoncer dans le canal.

  • On l’a eu! On l’a eu Leïla.

Nicolas se tenait sur une jambe. Il avait un pied foulé. Rien de grave. Leïla ne parlait pas. Elle resta silencieuse plus de vingt-quatre heures. Elle n’était pas revenue indemne de cette nuit là.

Mercredi 14 mars 2018 – Leïla tue de nouveau le monstre

Leïla et Nicolas se tenaient à l’entrée du parc de la Citadelle. La nuit tombait. Leur équipement était bien plus moderne qu’à la fin du siècle précédent. Elle avait apporté un pistolet semi-automatique, un Beretta Trident 9mm. Elle l’avait acheté sans trop de difficulté chez un armurier Parisien. Il suffisait d’une copie de sa carte d’identité, de la copie de sa licence de tir FFT et de l’original de son autorisation de détention d’une arme de catégorie B. Elle avait trouvé assez drôle de devoir fournir une première copie de sa licence de tir pour obtenir son autorisation de détention puis qu’on lui redemande la même pièce justificative pour l’achat de l’arme. C’était redondant. Nicolas, lui, était équipé d’une cotte de maille, une vraie, d’une épée et d’un bouclier. Cela avait dû couter une fortune et surtout, se demandait Leïla, comment avait-il justifié cet achat à sa femme! Il avait aussi un pistolet qui, disait il, était dans sa famille depuis trois générations.

  • On ne tue pas un Ogre avec un pistolet Leïla.
  • Tu verras, ça ira très bien, surement mieux qu’avec une épée.
  • Je ne t’ai jamais demandé ce que le monstre t’avait fait.
  • Tu as eu raison Nicolas, continue à ne rien demander.

Ils se dirigèrent tous deux vers l’entrée de la Citadelle. Il ne fallut pas long pour retrouver la salle où Leïla fut emmenée vingt trois ans plus tôt. Ils allumèrent tous deux et en même temps une lampe torche. Il n’y avait aucun monstre devant eux mais un vieux type en blouse blanche qui se tenait derrière une table métallique.

  • Qui êtes vous?

Leïla avait lancé sa question tout en pointant son arme vers l’inconnu. Nicolas se disait que cet homme ressemblait à Louis Jourdan, un acteur français peu connu de nos jours mais qui avait un rôle important dans un vieux Columbo « meurtre à la carte ». Nicolas les connaissait par coeur. C’était toujours son feuilleton préféré.

  • Je me nomme Jean-Pierre Barbare. Je suis professeur de chimie et j’ai pour hobby l’histoire de la citadelle de Strasbourg. Vous savez que le quartier de l’Esplanade, où est mon labo, est construit sur l’emplacement historique de la citadelle de Vauban.
  • Bois le fiole qui est dans ta blouse! Ordonna Leïla.
  • Pourquoi, tu lui demande de faire ça Leïla?
  • Bois la! Hurla-t-elle. 

En entrant dans la Citadelle, Leïla s’était souvenue. Deux décennies plus tôt, ce type avait profité d’elle. En entendant Nicolas arriver, il avait bu une fiole et il s’était transformé avant de passer à l’attaque.

  • Bois la fiole!
  • Tans pis pour vous bande de vieux crétins.

A peine la fiole vidée, le vieux professeur se métamorphosa en un Ogre horrible qui se précipita vers Leïla en utilisant la table métallique pour se protéger des balles du Beretta. Nicolas poussa son « Banzaï » tout en frappant la jambe gauche du monstre avec son épée.  L’Ogre se retourna et le frappa avec la table. Nicolas avait anticipé en plaçant son bouclier ce qui ne l’empêcha pas d’être propulsé au sol trois mètre plus loin sous la force du choc. Leïla profita de ce dernier mouvement pour tirer une balle en pleine tête de l’Ogre qui s’effondra au sol. Elle s’approcha et vida le reste de son chargeur, rechargea et vida le nouveau chargeur, le tout dans la tête du monstre.

Cette fois il était bel et bien mort. Nicolas et Leïla sortirent du parc comme si de rien était. L’heure était tardive mais il y avait encore quelques passants qui promenaient leur chien.

  • Que vas-tu faire maintenant Leïla.
  • Je vais repartir de Strasbourg et je crois cette fois que je vais enfin vivre une décennie de plaisir. Il y a un moniteur de ski, un surfer, un gauchiste et un jeune cadre dynamique qui m’attendent depuis un bon moment.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *